Si vous appartenez au milieu d’affaires du Canada francophone, vous souffrez peut-être de corporatite, affection du discours caractérisée par l’inflammation du mot corporatif. Les personnes atteintes parlent alors de choisir un nom corporatif, de servir une clientèle corporative, de soigner leur image corporative ou d’agir comme un bon citoyen corporatif. Dès que l’occasion se présente, ces quatre syllabes dissonantes glissent entre leurs lèvres comme un terme élégant, soigné, professionnel; bref comme un joli terme corporatif.

La corporatite est une affection du discours caractérisée par l'inflammation du mot corporatif.

Mais que signifie vraiment corporatif? Selon la lexicographie québécoise et française, il qualifie une chose ou une idée relative à une corporation, soit un ensemble de personnes qui exercent le même métier. Au Québec, sous l’influence de l’anglais corporate, « that relates to a large company or group of companies that are regarded legally as a single unit » (Antidote 9), corporatif s’est mis à qualifier toute réalité se rapportant au monde des affaires et des entreprises.

Vous avez compris, corporatif est un membre illustre des Anglicismes, vaste association de mots hérités de l’anglais et ostracisés par les adeptes du bon français. Pour ma part, je raffole des anglicismes, même si au cours de ma formation j’ai appris à les éviter. Je parle moins ici des emprunts intégraux si chers à la France (week-end, shopping, etc.), mais bien de ceux qui résultent d’une francisation du lexique anglais. Prenons l’exemple de ces fameux faux amis, appelés également « anglicismes sémantiques ». Il s’agit de mots français qui empruntent le sens d’un mot anglais similaire sur le plan formel. Académique dans le sens de « scolaire », agressif dans le sens de « combattif en affaires », pamphlet dans le sens de « dépliant », et bien sûr corporatif dans le sens de « relatif au monde des affaires », sont tous de faux amis bien ancrés dans l’usage canadien mais condamnés par la norme. Et pourquoi? Ces mots n’enrichissent-ils pas notre langue et ses différents registres? N’est-ce pas ainsi que nous affirmons en partie notre identité linguistique, grâce à un lexique distinct du reste de la francophonie?

Je cultive l’incompréhensible ambivalence d’un xénophile qui prône l’égalité ethnique entre deux pensées racistes.

Cela dit, j’ai beau me porter à la défense des anglicismes, je passe mon temps à m’en interdire l’usage. Je cultive l’incompréhensible ambivalence d’un xénophile qui prône l’égalité ethnique entre deux pensées racistes. Et je dois avouer que j’ai une sainte horreur du mot corporatif et de son copain branché appelé « corpo ». Certes, je ne supporte plus de les entendre fuser dans toute sorte de combinaisons douteuses, mais la principale cause de mon dégoût réside dans la connotation de plus en plus négative qu’ils revêtent. Corpo[ratif] évoque souvent une chose ennuyeuse, habillée d’un ordinaire entrepreneurial, mais tout de même rassurante par son professionnalisme. Quand on me demande d’adopter un ton plus corpo, je comprends que je dois écrire dans un style neutre, sérieux et professionnel. Un style corpo est un style sans saveur, sans personnalité, mais certes sans risque pour une gestion prudente de l’image de marque. Est-ce vraiment si terrible? Ça dépend des segments de marché sur lesquels votre entreprise se positionne. Dans les secteurs hautement concurrentiels, par exemple, les marques ont intérêt à cultiver une personnalité originale si elles veulent se distinguer.

Un style corpo est un style sans saveur, sans personnalité, mais certes sans risque pour une gestion prudente de l’image de marque.

En somme, vous attendez peut-être que je vous fournisse un verdict clair concernant corporatif. Permettez-moi de vous décevoir avec une opinion nuancée. Les linguistes vous diront que l’usage a préséance sur les normes figées de l’Académie française et qu’il faut l’accueillir dans notre langue. Les puristes de la sacro-sainte grammaire vous enjoindront pour leur part de le bannir de toutes vos communications. Faites donc ce que vous voulez, le choix vous appartient. Celles et ceux qui n’en ont rien à foutre des conventions lexicales pourront utiliser corporatif avec mesure et en toute connaissance de cause alors que les personnes soucieuses du bon usage trouveront dans la liste ci-dessous plusieurs solutions de rechange aux expressions « fautives » les plus fréquentes.

Traitement de la corporatite

Droit corporatif
Citoyen corporatif
Clientèle corporative
Affaires corporatives
Culture corporative
Image corporative
Nom corporatif
Formation corporative

Droit des affaires
Entreprise citoyenne
Clientèle d’affaires, sociétés clientes
Affaires commerciales, affaires internes
Culture d’entreprise, culture entrepreneuriale
Image de marque
Raison sociale, nom de marque
Formation entrepreneuriale, formation en milieu professionnel